AVANT-PROPOS DU FILM : « De la violence à la pensée »

Dans ce film, il est question de violence ; la violence énigmatique, parfois extrême, qu’expriment certains jeunes. Ils échappent à nos systèmes éducatifs, résistent à toute prise en charge, déroutent les autorités.
Des adultes, jour et nuit, ont fait profession de contenir cette violence-là. C’est en face d’une caméra, en accord avec un cinéaste, qu’ils s’expriment et deviennent les témoins des paradoxes de notre humanité. Ces adultes, animateurs, éducateurs, veilleurs, soignants, prennent la parole, un par un, non sans courage. Ils ont construit ensemble une institution expérimentale alternative à la prison ou l’hôpital, et rencontrent au quotidien ces adolescents insaisissables qu’on nomme, parfois, « les incasables. »
C’est un film qui par-delà la violence et la folie, et au-delà de l’émotion, ouvre un espace pour la pensée.

Le rythme des images épouse une parole qui se cherche, trouve son souffle, se libère et se poursuit dans une méditation à voix haute, dense, déterminée, implacable, souvent.
Le film nous confronte à une pensée en acte, une intelligence aigüe mise à l’épreuve de situations de vie impensables, pourtant bien réelles.
Au fil de l’énonciation, la fragilité qui traverse un visage, le tremblement d’une voix, l’ébauche d’un geste, transcende la simplicité des mots.
Ce sont des mots pour dire la difficile rencontre avec des adolescents perdus, souvent violents, promis à l’exclusion définitive de nos rouages urbains ; exclusion sans cesse répétée, qui les jette dans la rue, hors de l’école, se poursuit au commissariat puis dans les services d’urgence des hôpitaux, en vain… Ceux-là mêmes dont les comportements, en retour, viennent affoler les médias, jusqu’à leur incarcération.
Voici que, dans la matière profonde du film, se révèle un autre champ, inattendu, entrelacé à la violence des mots : le champ de la tendresse, du lien indicible qui se tisse entre un éducateur et un adolescent, par delà les agressions, les insultes, les provocations extrêmes.
On voit que cet attachement s’enracine dans l’enfance de chacun, adulte ou adolescent.
L’un et l’autre renouent avec des perceptions primaires, archaïques, redonnées dans le temps présent, résurgences de temps originaires. L’œuvre cinématographique révèle alors, avec un infini respect, ce que fut le désastre du traumatisme psychique survenu très tôt, dans le plus jeune âge. On entend, dans la retenue des mots, ce qui advint jadis à l’enfance, tourmentée, bafouée, perdue.
Nulle nécessité de décrire les scènes traumatiques… elles sont universelles, adossées aux guerres, aux deuils, aux abandons, au déni de l’humanité, à l’oubli des droits de l’enfance.
Communauté improbable d’expériences vécues ?… le travail du film éclaire la complexité des mouvements affectifs où nous entrainent cette enfance-là, dans ses énigmes et ses paradoxes.
Ce film ne démontre rien, renvoie chacun à son propre discernement, à ses choix intimes, son interprétation du monde, ses solutions imaginaires. Cette humanité-là cogne à la porte de nos consciences et s’y fraye un passage.
Les adolescents ne sont pas vus à l’image, ni désignés par leur nom,
Leur présence n’en est que plus insistante dans la pudeur, les silences, les détails brusquement précis du récit d’un homme ou celui d’une femme, les larmes de l’un ou le sourire de l’autre, parfois.
Y aurait-il une issue poétique, devant l’impensable traumatisme ? Ce film est traversé par des trouvailles artistiques, des fulgurances de langage, des nuances d’âme ;
L’impossible réparation du malheur se dit dans une langue quotidienne, simple, évidente. C’est la langue de ceux qui, au quotidien, enveloppent de gestes et de mots l’abandon lui même.

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